• A la conquête de l'Amérique... (suite et fin) par Simone Berteaut

    A la conquête de l'Amérique... (suite)... Ca lui avait bien réussi, avec Paul Meurisse, les fils de banquier ! Elle n'arrêtait pas, j'en avais les oreilles qui bourdonnaient. Le travail qu'Edith a fait pour la mise en scène des Trois cloches n'a pas été ordinaire. Orchestre et grandes orgues ont donné à cette chanson un décor sonore étonnant. Ca flanquait un choc. Il y avait aussi la présence de cette petite bonne femme si simple, devant ces grands gars, tous habillés pareil (chemise blanche, pantalon bleu de nuit, ceinture haute genre smoking, et qui mêlait sa voix de femme qui a vécu à celle de leur jeunesse. C'était une réussite.

    Et bien, malgré ça, ses chers Compagnons ne marchèrent pas à fond. Ils ne faisaient pas confiance à Edith. Ils chantaient bien, mais ils n'étaient pas dans le coup. Ils manquaient de chaleur. C'est Jean Cocteau, une fois de plus, qui en intervenant a changé la vie d'Edith. D'abord, il leur a dit que c'était très beau. Et les gars ont été soufflés. Mieux, il a écrit dans un article : "C'est un plaisir de les entendre et de l'entendre, mêlée à eux, coulée dans leur cloche de bronze et d'or comme une veine d'agate..."

    Le lendemain, les gars étaient décidés à écouter Edith, à suivre ses conseils. Ils n'ont pas eu tort. Les Trois cloches ont été un succès dans tous les pays du monde. La vente du disque en France a dépassé le million. En Amérique où Jean-François Nicot s'est appelé Jimmy Brown et le disque The Jimmy Brown's song, le premier tirage de soixante mille est parti en trois semaines. Pour eux, Edith ne pouvait plus se gourer. Ils avaient compris qu'elle connaissait les bonnes recettes. Ils lui ont fait confiance et leur répertoire a changé. Edith leur a trouvé une chanson d'André Grassi : La Marie. Puis Moulin rouge de Jacques Larue et Georges Auric... Quand les Tois cloches se sont mises à sonner à toute volée pour annoncer la joie de leur réussite, moi, c'était mon glas qu'elles sonnaient... Gagnant et placé dans le cœur d'Edith, Jean-Louis Jaubert a eu droit à la panoplie complète : chaîne, montre et tout le bataclan. Au milieu de tous ces gars qui avaient tous, plus ou moins, des allures de propriétaire, par procuration, moi, j'avais des airs de cousine pauvre qu'on garde par pitié. Et la pitié, la charité, ça ne m'a jamais plu. Pour Edith, j'aurais fait n'importe quoi. Mais ramper devant ces hommes, ça jamais ! Peut-être que si j'étais devenue une sorte de bonne à tout faire, en plus moche, j'aurais pu rester. Aussi, quand Jean-Louis a dit froidement : "Je ne veux pas d'elle", je n'ai pas fait d'histoires. Ce gars-là, il pouvait vivre à neuf mais pas à trois. Je ne lui en veux pas. Pour lui, certainement qu'il avait raison, que j'étais encombrante ; je ne lui plaisais pas. Alors, j'ai laissé la voie libre et je me suis tirée.

    Un peu plus d'un an plus tard, quand je suis revenue auprès d'elle, Edith m'a raconté la suite. "Momone, ces neuf mecs, c'est comme si j'avais eu mon orchestre à moi. Pas un orchestre qui m'accompagne, mais que je conduis. Toutes ces voix qui sont comme des instruments, c'est formidable ! Au début, je me suis marrée à la maison avec eux. On s'entendait bien. C'était comme si j'avais eu des tas de frères pour s'occuper de moi. J'avais jamais vécu avec des gars comme ça. On se faisait des blagues. J'ai pris de ces fous rires à en avoir mal au ventre...

    Comme elle l'avait fait pour Yves, Edith avait chargé Loulou de s'occuper des Compagnons, de les placer avec elle. ils filaient leur tour en première partie. Elle chantait Les trois cloches avec eux. Et ensuite, elle passait en vedette... " On s'est un peu bagarrés et il en a fait à moitié à sa tête, dit-elle. Alors, j'ai fait ma rentrée parisienne en octobre 1946 sans les Compagnons. C'était bien comme ça. Loulou n'avait pas eu tort. Aux Etats-Unis, les Compagnons passent, ça ne marche pas mal. Pour les Trois cloches, on se fait siffler. J'en étais blanche de désespoir. Personne n'avait pris la précaution de me dire qu'aux U.S.A, c'était mieux que des applaudissements ! Pour mon tour, j'avais gardé ma petite robe. première déception pour les Ricains. ils croyaient que je l'avais mise pour faire aussi simple que mes boy-scouts, une sorte de déguisement, quoi ! Pour eux, une vedette, surtout venant de Paris, la capitale du french-cancan, de Tabarin et du lido, ça devait avoir les moyens de se payer de la plume, des paillettes, de la fourrure. J'ai rien d'une pin-up ! A côté de Rita Hayworth ou de Marlène, faut dire que je faisais pauvre. Je te dis pas ça pour que tu sois bien dans l'ambiance, que tu voies le tableau. Les Compagnons, c'étaient des voix. Qu'on les comprenne ou pas, ça n'avait pas d'importance. ils étaient beaux gars - pas des armoires à glace mais un bon gabarit - une belle présentation. Le public n'avait pas à se casser la tête pour comprendre. Il entendait, c'était joli, ça suffisait. Et moi, je m'amène avec ma petite robe noire, courte, ma coiffure sans style, des cheveux - de la couleur de tout le monde - qui n'accrochaient même pas la lumière, une figure pâle. De loin, je faisais blanche. Jamais, je n'avais été aussi désespérée. Jaubert, lui, il pavoisait. De la presse, il aurait pu m'en refiler sans que ça le gêne. Les French Boys plaisaient. Eux, c'était la France saine, les copains des G.I' s qui nous avaient libérés. Tu vois ça d'ici : Marseillaise et bannière étoilée !... J'ai continué quelques soirs, comme ça, sans moral. Puis, j'ai dit aux Compagnons : Les gars, je me tire. Faut pas être entêté dans notre métier. Je ne plais pas. Salut les potes. La tournée, finissez-la sans moi. Pour vous, c'est du billard. Continuez à rouler dessus et bonne chance ! Je reprends le bateau... C'est comme ça que j'ai divorcé des Compagnons, sans histoires."

     

    Extraits de l'ouvrage PIAF de Simone BERTEAUT réédité en 1993 chez Robert LAFFONT

    « A la conquête de l'Amérique vu par l'amie Edith Piaf, Momone (1947)Vivent les yé-yé ! écrivait en Belgique Jan Maltaverne au début des années 60 ! »

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