Il est indéniable que Louis LIEBARD (à droite de la photo ci-dessus avec ses premiers COMPAGNONS DE LA MUSIQUE en 1942) décédé vendredi soir appartient à l'histoire des COMPAGNONS DE LA CHANSON dont il aura formé certains des éléments entre octobre 1941 et février 1946 !
Comme le précise Jean-Jacques BLANC dans son travail sur les COMPAGNONS DE LA MUSIQUE publié fin 2008, c’est avec Maurice MEYER (baryton), Roger HERMANN (basse) et Jean VERLINE (ténor) que LIEBARD a fondé à l’automne 1941 à la Bourse du Travail, Cours Morand à Lyon, le groupe d’expression musicale des Compagnons de France. Il travaillait déjà avec eux depuis quelques mois au sein de l’association : Jeune France. Pourquoi avait-t-il voulu les baptiser ainsi ? Sans doute parce que le vocable Compagnon souvent repris était à la mode en ces temps difficiles de guerre traversés par notre pays. Issu du latin cum panis. Il signifie aussi sur un plan plus littéral : "avec qui l’on partage son pain". En ces temps de disette organisée, cela pouvait presque prêter à sourire car le pain dont se souvient Marc HERRAND (Cf. La route enchantée) était souvent immangeable !
Fallait-il donc que nos jeunes aient l’estomac dans les talons pour s’en contenter. Quand il s’agit d’évoquer le passé de tous ces garçons et de toutes ces filles, chacun des événements vécus a eu et aura une importance sur l’histoire d’un groupe et d’un homme, Louis LIEBARD, dont chacun mesure aujourd’hui l’influence. Véritable enseignant de chant choral, il avait réussi à inculquer à ses protégés l’harmonie et il avait su leur apprendre à attaquer une chanson tous ensemble sans que personne ne donne un signal perceptible au départ. C’est d’ailleurs indiscutablement celui que tous appelaient "chef" qui est à l’origine de ce "Son Compagnons" qui en ravira par la suite plus d’un parmi leurs nombreux admirateurs. Tant en France qu’ailleurs. Placer les voix de tous ces jeunes au sein de l’espace choral, leur faire travailler le souffle, l’articulation, la justesse du ton, leur apprendre le piano, le saxo, l’accordéon, la clarinette ou la batterie, la guitare et la flûte, rien ne sera laissé de côté dans leur apprentissage !
L’objectif premier que s’était assigné Louis LIEBARD en créant les Compagnons de la Musique était d’enseigner le solfège à des jeunes et de leur faire étudier le chant et l’art scénique dans le cadre d’une expérience communautaire. Il était parti de l’idée qu’ils deviendraient ensuite, eux-mêmes, des enseignants chargés de promouvoir ce qu’on leur avait inculqué. Ne s’agissait-il pas aussi, parallèlement à un objectif d’éducation parfaitement défini par le Gouvernement de Vichy, de réhabiliter les vieux airs folkloriques du pays, et comme l'avait précisé Louis LIEBARD de faire revivre la chanson sans abandonner la tradition ? Il l’avait répété à l’envi, il s’agissait de redonner aux jeunes le désir de chanter de jolies choses tout à fait françaises à la manière française… LIEBARD avait également prévu d’y associer des jeunes filles qui, à l’époque, était encore à l’écart des Chantiers de Jeunesse et voulait faire en sorte de compléter la partie vocale par un jeu de scène visuel et collectif. Tout y sera démultiplié, aussi bien les réactions que les effets.
C’est cet équilibre recherché entre musique et expression corporelle qui donnera naissance à ce tout nouveau concept de la "chanson animée". Il s’agissait bien de chanson animée et non de chanson mimée, comme on le verra écrit quelquefois ça et là. Il semble d’ailleurs que le terme de "chanson mimée" ait été importé sans doute involontairement du Canada bien après. Et cette imprécision phonétique a pu entraîner une divergence.
Mais que sait-on d'autre aujourd'hui à propos de Louis LIEBARD ?… On sait que l’homme avait l’élève de Joseph SAMSON, Maître de Chapelle de la cathédrale de Dijon à partir de 1930. Une rencontre qui le marquera énormément durant ses premières fonctions avant qu’il fonde dès 1933 sa première chorale : La Perdriole. On sait aussi qu’il s’était évadé au début de l’année 1941 d’un train de marchandises en gare de Nancy et, peu de temps après, qu’il était parvenu à gagner Lyon et à y diriger au sein de l’association Jeune France une première équipe d’expression musicale. Créée à l’automne 1940, Montée des Carmélites à Lyon par un certain Pierre SCHAEFFER, Louis LIEBARD en était devenu le responsable du chant choral. Bénéficiait-il de considération et de soutiens haut placés pour conduire de tels projets sans être ennuyé après son évasion ? Rien ne permet de l’affirmer. Après avoir été adjoint du maître de chapelle de la Cathédrale de Dijon, n’était-il pas déjà considéré comme l’un des plus grands spécialistes du chant choral et donc quelqu’un sur lequel on pouvait s’appuyer pour mettre en œuvre un tel projet ? Son statut de militaire, prisonnier non recensé par les autorités allemandes lui avait-il permis cette évasion à Nancy qu’on ira jusqu’à qualifier de spectaculaire ?… Un document retrouvé dans des archives conservées par la fille* de l’une des premières participantes à l’expérience précise que Louis LIEBARD, prisonnier évadé, aurait réalisé cette création sous un nom d’emprunt dès juillet 1941, ce qui explique bien des choses. D’autant qu’on ne demandait aucun justificatif d’identité chez les Compagnons de France en 1941 ! Le nom d’un certain Pierre DALAY, animateur, est effectivement évoqué dans ces archives.
Opérationnels après trois mois de travail acharné, les Compagnons de la Musique donnent leurs premiers spectacles dès Mars 1942. Contrairement à ce qui est précisé sur la plaque commémorative apposée rue de Champvert à Lyon, ce n'est donc pas au Printemps 1942 que sont nés les COMPAGNONS (de la MUSIQUE) mais bien à l'automne 1941.
Ces spectacles étaient déjà composés de chansons françaises, de danses populaires et de suites instrumentales mais leur répertoire se perfectionnera, évoluera et se complètera progressivement. Durant l’été 1942, les COMPAGNONS DE LA MUSIQUE donneront toute une série de représentations dans lesquelles seront introduites des parodies et des fantaisies musicales, donnant à leurs spectacles richesse d’expression et variété de rythme.
Si les premières recherches entreprises par LIEBARD avaient été vers une vocalité de chacun des chanteurs, les secondes iront vers la polyphonie. Partant d’une base musicale chorale polyphonique, parfois chorégraphique, les Compagnons de la Musique s’attacheront à exprimer fortement mais aussi simplement le caractère scénique particulier de chaque œuvre. Comme l’a affirmé un chroniqueur de l’époque, pour juger de la prestation, il fallait les avoir vu et les avoir entendu au cours d’une séance de travail ou une représentation.
C’est en juillet 1943 que Fred MELLA rencontrera les Compagnons de la Musique et… LIEBARD que lui présentera le Chef Compagnon Frank GAIGNAIRE. En Ardèche, alors qu’il avait appris l’existence du groupe un an plus tôt ! L’occasion de "monter une gamme" devant le Chef Louis lui vaudra d’être invité à se rendre à Lyon quelques semaines plus tard. Début Septembre Louis LIEBARD accueillera donc Fred MELLA, en qualité de nouveau stagiaire. Cette arrivée changera bien des choses car chacun, jusque là, au sein des Compagnons de la Musique, avait une chance de devenir soliste de l’équipe de représentation. Autant Jean VERLINE, le ténor, que d’autres dont les qualités ne demandaient qu’à s’épanouir davantage… Comble de malchance pour VERLINE, sa peine d’emprisonnement lui vaudra d’abandonner pendant quelques mois Lyon ! Au retour d’une semaine de représentations données en Savoie. Un simple noyau de fruit craché par la fenêtre du compartiment d’un wagon de chemin de fer et atterri sur la tête d’un représentant de l’ordre transalpin aura suffi à le faire arrêter ! Et à le mener en forteresse à Chambéry puis aux Baumettes ! Chacun le reconnaîtra par la suite, cette arrivée de Fred devenu rapidement l’un des meilleurs éléments, constituera l’événement de cette fin d’année 1943 à la Villa du Point du Jour ! Au même titre que la représentation donnée le mardi 23 novembre par les Compagnons de la Musique au Pathé-Palace de Lyon durant la "Nuit du Cinéma". Elle sera à l'origine de leur sélection pour un gala où ils rencontreront... PIAF !
* Christine DESSERTENNE